Quand Gallinette fait mieux que la chimie
C’est à Toulon que l’aventure a commencé il y a quatre ans. Confrontés à une prolifération inquiétante de chenilles processionnaires dans le parc départemental, les responsables ont fait appel à Jean-Marc Bonnet, éleveur passionné. « Au début, on nous prenait pour des illuminés », confie-t-il en souriant. « Aujourd’hui, les résultats parlent d’eux-mêmes : une réduction de 75% des nids de processionnaires dans les zones traitées par nos poules, contre seulement 15% dans les zones témoins. »
Le principe est simple mais redoutablement efficace : les poules, par nature grandes fouisseuses, grattent le sol forestier à la recherche de nourriture. Ce faisant, elles déterrent et consomment les chrysalides de chenilles processionnaires qui s’y enfouissent pour leur métamorphose. Un cocon de chenille représente pour elles un festin protéiné particulièrement apprécié.
Un protocole scientifique rigoureux
L’Office National des Forêts (ONF) a structuré cette approche en développant un protocole précis. « Nous installons des parcelles clôturées d’environ 500m² au pied des pins infestés », explique Marie Courtois, ingénieure forestière à l’ONF. « Chaque parcelle accueille un groupe de 10 à 15 poules, principalement des races rustiques comme la Gascogne ou la Marans, reconnues pour leur instinct de fouille particulièrement développé. »
Les poules sont introduites à l’automne, période où les chenilles descendent des arbres pour s’enfouir dans le sol. Un abri mobile, équipé d’abreuvoirs et de mangeoires, leur permet de se protéger des intempéries et des prédateurs. Des relevés réguliers permettent de mesurer l’évolution des populations de chenilles.
« Le plus surprenant », poursuit Marie Courtois, « c’est l’effet préventif sur le long terme. Dans les zones où nous avons maintenu des poules pendant deux saisons consécutives, nous observons une diminution de 90% des nids l’année suivante, même après le retrait des gallinacés. »
Des chiffres qui font réfléchir
À Montpellier, la métropole a étendu l’expérience à 12 parcelles forestières en 2022. Les résultats sont éloquents : sur trois ans, le nombre de nids par arbre est passé de 4,7 en moyenne à moins de 0,5 dans les zones traitées par les poules. En comparaison, les traitements chimiques conventionnels réduisent ce nombre à 1,2 nid par arbre, pour un coût environnemental et financier bien supérieur.
L’aspect économique n’est pas négligeable : si l’installation initiale représente un investissement (environ 2000€ pour un enclos mobile et 15 poules), le retour sur investissement est atteint dès la deuxième année. Sans compter les économies réalisées sur les traitements chimiques, estimées à 1200€ par hectare et par an.
Le bien-être animal au cœur du dispositif
« Une poule heureuse est une poule efficace », résume Pierre Lecomte, vétérinaire spécialisé qui accompagne plusieurs projets dans le Var. Pour garantir le bien-être des gallinacés, des protocoles stricts ont été mis en place : rotation des parcelles tous les 15 jours pour éviter l’épuisement des ressources, abris conçus pour résister aux prédateurs, visites vétérinaires mensuelles.
Les poules bénéficient également d’une alimentation complémentaire équilibrée et d’un accès permanent à l’eau fraîche. « Nous avons constaté que les poules engagées dans ce programme présentent des taux de stress inférieurs à ceux observés dans les élevages conventionnels », ajoute le vétérinaire. « Elles expriment pleinement leurs comportements naturels : gratter, picorer, prendre des bains de poussière… »
Une solution qui fait des émules
Face à ces résultats prometteurs, de nouvelles communes rejoignent l’aventure. À Aix-en-Provence, c’est une collaboration inédite entre services municipaux et associations de quartier qui a vu le jour en 2023. Les habitants volontaires participent à la surveillance des poules, créant ainsi du lien social autour d’un projet écologique.
« Nous travaillons maintenant sur une application mobile qui permettra aux citoyens de signaler les nids de processionnaires et de suivre en temps réel l’impact des poules », explique Sandra Martinez, responsable du service environnement de la ville. « C’est une façon de rendre visible cette lutte silencieuse qui se joue sous nos pins. »
Des défis à relever
Malgré son succès, la méthode connaît quelques limites. Les zones rocailleuses ou trop pentues restent difficiles d’accès pour les poules. Par ailleurs, la présence de prédateurs comme le renard peut complexifier la mise en œuvre du dispositif dans certaines régions.
Le principal défi reste toutefois logistique : qui s’occupe des poules une fois leur mission accomplie ? Des solutions émergent progressivement : certaines communes ont créé des « poulaillers municipaux » permanents, d’autres ont développé des systèmes de rotation entre particuliers volontaires.
« Nous travaillons actuellement sur un label ‘Poule de combat anti-processionnaire’ qui permettrait de valoriser les œufs issus de ces programmes », révèle Jean-Marc Bonnet. « Ces poules consomment des protéines d’insectes en quantité, ce qui se traduit par des œufs particulièrement riches en oméga-3. Pourquoi ne pas transformer cette contrainte en opportunité gastronomique ? »
Alors que les chenilles processionnaires étendent leur territoire vers le nord de la France, portées par le réchauffement climatique, cette solution écologique pourrait bien faire des petits. D’autres insectes ravageurs pourraient également être ciblés par nos gallinacés. Et si l’avenir de nos forêts passait par le retour des poulaillers ? Une chose est sûre : entre la chimie et la poule, la nature a déjà choisi son camp.